Les bibliothèques ambulantes, une alternative contre l’analphabétisme de retour
Equipe de rédaction : ZALLE Arouna, SIE Orokia, OUEDRAOGO Moussa, SANKARA Souleymane, NANEMA Parfait, LINGANI Sidiki, OUEDRAOGO Boureima, PARE Souleymane, OUEDRAOGO Caroline, Mars 2021
Eléments introductifs
L’expérience se déroule dans les régions du Nord, du Centre-Nord et de l’Est du Burkina Faso (carte ci-contre). Ces trois (03) régions constituent la zone d’intervention du Projet de gestion participative des ressources naturelles et de développement rural au Nord, Centre-Nord et Est, dit Projet NEER-TAMBA qui signifie en langues nationales « l’espoir qui nous réunit »
Brève présentation de l’organisation porteuse de l’expérience : Le Projet NEER-TAMBA est né de la volonté du Gouvernement du Burkina Faso avec l’appui du Fonds International de Développement Agricole (FIDA) afin d’améliorer les conditions de vie et les revenus des populations rurales les plus défavorisées des régions du Nord, du Centre-Nord et de l’Est. L’objectif spécifique du Projet est d’appuyer les populations cibles à construire et renforcer leur autonomie et leur capacité à jouer un rôle moteur croissant, pleinement reconnu par les autres acteurs, dans la construction d’un tissu économique et social durable. Trois axes d’intervention sont ciblés : (i) l’accroissement de la résilience des ménages, des exploitations et des villages face aux aléas climatiques ; (ii) l’accession des ménages à une capacité d’autonomie économique et financière suffisante pour leur permettre, au sein de leur milieu rural de résidence, de se projeter mieux vers l’avenir ; (iii) la construction et le renforcement d’un tissu social et économique favorable et incitatif à cette prise d’autonomie, dont les populations cibles seront des acteurs/partenaires à part entière. Le projet Neer-Tamba est un projet multi-acteurs dont l’exécution de ses activités implique de nombreux acteurs, notamment les Chambres Régionales d’Agricultures (CRA) dans le cadre de la mise en œuvre du volet alphabétisation.
En effet, les CRA des trois (03) régions d’intervention assurent la maitrise d’ouvrage déléguée à travers une convention signée en novembre 2014 entre le Ministère en charge de l’Agriculture et la Chambre Nationale d’Agriculture (CNA). Les CRA sont des institutions consulaires investies d’une mission de service public d’intérêt général dans les domaines Agro Sylvo Pastoral Halieutique et Faunique (ASPHF). Elles ont six missions :
- représenter la profession ASPHF à tous les niveaux ;
- définir et mettre en œuvre des politiques et stratégies de promotion et de développement dans les domaines ASPHF ;
- promouvoir et accompagner l’organisation des producteurs dans les domaines ASPHF ;
- assurer l’information et la formation des producteurs dans les domaines ASPHF ;
- initier et/ou contribuer à la formulation, la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation des projets et programmes des producteurs et de leurs organisations professionnelles dans les domaines ASPHF ;
- créer et gérer le registre des exploitations ASPHF.
Les CRA sont organisées en coordinations villageoises, départementales et provinciales.
Le budget des CRA varie d’une région à une autre et le budget moyen est au-delà de deux (2) milliards de Francs CFA (source : étude, évaluation des CRA, 2019). Plusieurs partenaires accompagnent les CRA dans la mise en œuvre de leurs activités, notamment les services techniques déconcentrés de l’Etat, les ONG/Associations de développement, les projets et programmes de développement.
Démarche
Genèse de l’expérience
L’idée des biblio-moto a germé en 2002 au niveau de l’ONG TIN TUA[1]. Avec le nombre important d’apprenants en fin de cycle qui n’avait plus accès à la documentation pour le maintien, voire l’amélioration de leur niveau, les animateurs de biblio-moto ont été sélectionnés parmi les correspondants de presse de l’ONG qui avait pour principal rôle la promotion de ’alphabétisation dans les villages.
L’objectif des biblio-motos est de réduire la déperdition des néo alphabétisés issus prioritairement des villages bénéficiaires des interventions du Projet et ainsi d’éviter l’analphabétisme de retour. Il s’agit spécifiquement de :
- appuyer la constitution de petites «bibliothèques ambulantes» par des organisations rurales ;
- offrir aux néo-alphabétisés un service de lecture de proximité ;
- soutenir par la lecture les néo alphabétisés en mettant un service de lecture et d’informations locales et nationales à la disposition des populations;
- renforcer l’accès à l’information au niveau local ;
- maintenir et renforcer les connaissances et la culture des alphabétisés.
Trajectoire de l’expérience
Le processus a démarré au niveau du Projet NEER-TAMBA en 2017 par un voyage d’études dans la région l’Est au niveau de l’ONG TIN TUA pour s’inspirer de son expérience tel que prévu dans le document de conception du Projet.
Ce voyage d’études, a permis de : (i) comprendre le mode de fonctionnement des biblio-moto ; (ii) confier la gestion des biblio-motos à des Associations locales actives en alphabétisation ; (iii) élaborer un guide méthodologique et (iv) mettre en route l’activité au niveau du Projet.
Pour la mise en œuvre de l’activité au niveau du Projet, la stratégie de l’ONG TIN TUA, a été revue pour l’adapter au contexte du Projet. Cette adaptation a consisté à l’élaboration d’un guide méthodologique pour décrire le fonctionnement de l’activité, le recrutement de structures pérennes locales actives en alphabétisation, l’implication des services techniques déconcentrés en charge de l’éducation non formelle. L’adaptation a permis au Projet de réussir la mise en œuvre de l’activité.
En effet l’ONG TIN TUA était la structure qui assurait la maitrise d’ouvrage de l’activité et la coordination générale en utilisant ses propres agents dans la gestion des biblio-motos.
Description de l’activité et Fonctionnement
La biblio-moto est une moto équipée d’une caisse contenant des documents principalement en langues mooré et/ou gulmancéma sur les thématiques de culture générale et des ouvrages techniques (Agriculture, élevage, environnement). Le gestionnaire biblio-moto suivant un programme de travail établi, rejoint les bénéficiaires dans leurs localités pour offrir la documentation sous forme de location (100 FCFA/livre pour 2 semaines) ou de vente (en moyenne 1000 FCFA/livre). La location / vente des documents génère des ressources qui sont déposées sur un compte ouvert à cet effet.
La finalité de l’activité est de soutenir la lecture chez les alphabétisés. Pour l’atteinte des objectifs de la biblio-moto les étapes suivantes sont respectées :
- les prises de contact dans les villages ciblés (bénéficiaires des actions du Projet et de l’ouverture d’un centre d’alphabétisation) et la sensibilisation des bénéficiaires et des leaders d’opinion ;
- la mise en place des clubs de lecteurs dans chaque village;
- la mise à disposition des documents à travers la location ou la vente.
[1] TIN TUA : signifie aidons nous à nous développer. Cette ONG qui a son siège à Fada Gourma, région Est du Burkina Faso, est spécialisée dans l’alphabétisation. Elle est organisée en plusieurs DIEMA qui sont ses zones d’intervention.
Photo 1:vue d’une biblio-moto
Photo 2: vue partielle de la documentation de la biblio-moto du Bam
- les opérateurs en alphabétisation : ils assurent mise en œuvre de l’activité sur le terrain ;
- les directions en charge de l’alphabétisation : elles ont pour rôle le suivi technique et l’appui conseil;
- les conseils villageois de développement (CVD) : ils appuient l’implémentation de l’activité au niveau du village ;
- les clubs de lecteurs : ils représentent au niveau de chaque village, le lien entre le gestionnaire de biblio-moto et les bénéficiaires.
Financement de l’activité
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un service de lecture de proximité est offert au néo-alphabétisés ;
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les connaissances et la culture des bénéficiaires sont maintenues et renforcées ;
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la maitrise des itinéraires techniques des filières ASPHF ;
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12 bibliothèques ambulantes mise en place ;
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575 villages couverts ;
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560 clubs de lecteurs mis en place ;
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28 551 bénéficiaires touchés ;
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18 290 femmes et 17 765 jeunes ;
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19355 documents empruntés.
Photo 3: Séance de lecture dans le village de Ouazelé, commune de Sabcé
Photo 4: Séance de location dans le village de Pittenga, commune de Rouko
Contraintes
Dans la conduite de la bibliothèque ambulante, plusieurs contraintes sont à surmonter :
- Le caractère à but social et non lucratif de l’activité, car les ressources générées ne permettent pas de couvrir les dépenses de fonctionnement ;
- la situation sécuritaire qui réduit la mobilité des biblio-moto ;
- les coûts liés au fonctionnement de l’activité qui ne peuvent pas être couvert par les ressources générés dans le cadre de la location et de la vente des ouvrages.
Enseignements tirés de l’expérience
Originalité de l’expérience
Une adaptation de la stratégie initiale de l’ONG TIN TUA au contexte de mise en œuvre au niveau du Projet Neer-Tamba. L’expérience se caractérise par l’élaboration d’un guide méthodologique qui définit le fonctionnement de la biblio-moto. L’implication des directions en charge de l’éducation non formelle dans la conduite de l’activité.
Facteurs clés de succès
L’un des points forts qui a rendu possible l’atteinte des résultats est la mobilisation forte des parties prenantes. Aussi, l’engouement général des bénéficiaires autour de l’action et la volonté manifeste de se l’approprier constitue des points forts à noter. Des rencontres périodiques sont organisées en région et regroupe l’ensemble des acteurs provinciaux de mise en œuvre pour échanger sur les difficultés rencontrées et de partager les expériences avec les autres acteurs. Les clubs de lecture sont des références qui éclairent et orientent la vie et l’action communautaire.
L’expérience comporte des succès dans la mesure où la lecture anime actuellement le quotidien des bénéficiaires (les ouvrages répondants à leur besoin).
Impact
L’activité Biblio-moto est un véritable levier dans le renforcement des capacités des acteurs, la promotion de leurs activités, le mieux-être.
Il ressort que les acquis en matière d’alphabétisation sont bien maintenus et valorisés dans le quotidien des bénéficiaires.
Monsieur SAWADOGO Bouréima du village de Kassiri, dans la commune de Kaya, province du Sanmatenga, région du Centre Nord, en a bénéficié des biblio-motos et il nous relate son témoignage dans l’encadré ci-dessous :
« C’était ma première fois de voir une telle activité, j’ai été alphabétisé depuis 2010 et j’ai une attestation. Plus tard je ne pouvais plus lire certains documents mais grâce à la Biblio-moto, je me suis abonné et j’ai pris le livre Tẽng yerb gɩdgre. Franchement j’ai vu mes connaissances améliorées. Merci grandement aux initiateurs ». |
Durabilité
Les actions suivantes s’inscrivent dans la durabilité de l’activité :
- l’ancrage institutionnel a été confié aux services en charge de l’éducation non formelle dans le but d’assurer la continuité ;
- la conduite de l’activité par des structures locales pérennes œuvrant dans l’alphabétisation ;
- l’ouverture de compte dédié pour y loger les ressources générées par l’activité.
Dans un souci de diversification des thématiques, une deuxième acquisition de document a permis de renforcer les bibliothèques ambulantes. Des réflexions sont menées en vue de la prise en compte des biblio-moto dans le programme du Fonds National de l’Education Non Formel (FONAENF).
Reproductibilité
L’expérience peut être reproduite dans des contextes similaires à celui du Projet Neer-Tamba, si des mesures (l’élaboration d’un guide, la mise à disposition de ressources pour le fonctionnement et l’adhésion des parties prenantes) sont prises pour assurer la mise en place des biblio-motos. L’augmentation des frais de location et du prix de vente des ouvrages, la prise en charge de ces frais par le FONAENF qui est une structure étatique, donc pérenne pourraient constituer des actions facilitant la reproductibilité de cette expérience.
Passage et ou changement à l’échelle
L’expérience peut être reprise telle quelle ou transférée à des échelles plus larges en prenant en compte plusieurs paramètres dont la prise en charge de l’activité par les collectivités locales qui ont en charge le développement local et la mutualisation des ressources avec d’autres partenaires.
Perspectives, évolutions et défis
Dans le cadre de la pérennisation de l’action, les défis majeurs restent, notamment, la mobilisation des ressources pour le fonctionnement de l’activité, l’adaptation de l’activité à la situation sécuritaire, la prise en charge de l’activité par les collectivités locales.